Vidéo à la demande: quand la France montre son plus mauvais visage

Avec l’avènement de Netflix, mastodonte du streaming payant, le média phare d’antan, comprenez la télévision, a pu voir l’inimaginable se produire. Et si les chaînes de télévision, jusque là indétrônables, étaient délaissées au profit des services de vidéo à la demande ? Un constat impensable jusqu’en septembre 2014, date à laquelle Netflix a continué son développement mondial en proposant ses services dans l’Hexagone (mais aussi en Belgique, Allemagne, Autriche, Luxembourg et Suisse à cette même date). Quatre ans et un nombre d’abonnés en hausse constante plus tard, les principales chaînes TV françaises (TF1, France Télévision et M6) ont décidé de réagir et ont profité du mois de juin pour annoncer leur plate-forme de VOD commune. Idée de la dernière chance ou future catastrophe annoncée ?
VOD vs TV
Alors que les audiences télévision ont longtemps régné en maître parmi les différents médias « traditionnels », depuis 2014 tout a été bouleversé. Et pour cause, le géant Netflix a fait son arrivée en France et ne cesse de gagner en popularité depuis. Pourtant, la VOD existe depuis 2005 en France, mais il aura fallu l’arrivée de Netflix pour véritablement sentir un changement. Malgré des débuts timides, le service de streaming américain a annoncé une progression fulgurante ces derniers mois (environ 100 000 nouveaux abonnés chaque mois). Et la TV dans tout ça ? Elle garde des chiffres relativement conséquents si l’on s’en tient à l’étude de Médiametrie indiquant, en 2017, que 44 millions de Français la regardent chaque jour. Néanmoins, cette étude a révélé un autre phénomène : les nouveaux usages des télévisions. En effet, ces dernières ne servent plus seulement à regarder les différentes chaînes composant le bouquet audiovisuel français. Elles sont également utilisées, vous l’aurez deviné, pour de la vidéo à la demande.
L’explosion de la VOD
L’étude Médiamétrie met en lumière ces nouvelles utilisations des téléviseurs. Pour preuve, elle indique qu’une personne sur cinq, en France, aurait accès à ces services de VOD. On constate également que de plus en plus de Français les sollicitent. Ils étaient 40% plus nombreux en 2017 qu’en 2016. L’étude Médiamétrie souligne également que :
- ce qui plaît dans ces systèmes est la variété des contenus proposés (46% se sont abonnés pour cette raison)
- 87% ont déclaré vouloir poursuivre leur abonnement
- 41% d’entre eux ont un abonnement depuis plus d’un an
La suprématie américaine
Aujourd’hui la VOD en France c’est :
- un marché représentant 249 millions d’euros (soit une hausse de 91% entre 2016 et 2017)
- 65 services actifs (soit 3 fois plus qu’en 2010)
Évidemment, Netflix est en tête du podium parmi les différents services de VOD, avec 110 millions abonnés dans le monde, dont 3,5 dans l’Hexagone. D’autres services de vidéo à la demande ont rapidement émergé, à commencer par Amazon Prime Vidéo qui compterait près de 100 millions d’abonnés dans le monde. Des données à nuancer puisqu’elles comprennent également les abonnés « Prime », c’est à dire ceux qui ont payé un abonnement pour une livraison plus rapide de leurs achats sur Amazon (et donc pas forcément intéressés par la VOD). Impossible de communiquer le nombre d’abonnés au service VOD d’Amazon en France puisque ce dernier n’a pas encore été officiellement lancé. Autre plate-forme, française cette fois, CanalPlay qui ne connaît pas le succès de ses homologues américains. Et pour cause, Maxime Saada, Président du directoire de la chaîne cryptée, a annoncé fin juin dernier que le service VOD de Canal + est passé de 800 000 abonnés à 200 000 en deux ans. Avant de rajouter : « c’est terminé pour CanalPlay ».
Le défi de la télévision pour rivaliser
L’échec de Canal + aurait pu dissuader d’autres chaînes françaises de se lancer sur le marché de la VOD, tant Netflix s’est imposé. Et pourtant, à la même période, TF1, France Télévisions et M6 ont annoncé la création de « Salto ». Leur objectif ? « proposer une réponse ambitieuse aux nouvelles attentes du public ». L’idée est de rassembler leurs programmes respectifs sur une plate-forme commune et ainsi créer un contrepoids aux succès de Netflix et autre Amazon Prime Video. Suite à l’échec de CanalPlay, la chaîne cryptée n’a pas souhaiter s’investir dans ce projet qui n’a pas encore de date officielle de lancement.
Un projet qui laisse songeur
Même si l’annonce d’une collaboration entre trois groupes audiovisuels français est une grande première, il y a de quoi avoir quelques doutes. Et ce, pour plusieurs raisons :
- Pourquoi développer une solution web coûteuse à créer et à maintenir lorsqu’il existe déjà une solution du même genre ? D’autant plus que cette dernière est pérenne et populaire en France, ainsi que dans le reste du monde. Les trois chaînes ont annoncé un investissement total de 50 millions d’euros pour le lancement de Salto. Un chiffre conséquent certes, mais qui a un certain air de David affrontant Goliath quand on voit les 8 milliards de dollars investis chaque année par Netflix dans sa création de contenus originaux.
- Plutôt que d’attaquer de front, pourquoi une alliance avec Netflix n’a-t-elle pas été envisagée ? On aurait facilement pu imaginer une offre gratuite avec les contenus proposés par TF1, France TV, M6 et ainsi tenter de convertir l’audience en utilisateurs payant. Les trois groupes audiovisuels français auraient ainsi bénéficié d’une belle exposition de leur contenu à travers le globe et ainsi négocier les bénéfices de la publicité avec Netflix.
- A contrario, une plate-forme qui ne reprend que des contenus déjà existants et, surtout, déjà diffusés à la TV est bien moins séduisante. Qui va vouloir payer un abonnement pour regarder du contenu que l’on peut obtenir gratuitement sur la TNT ? De plus, il y a un vrai décalage en termes de cible. Les contenus diffusés à la TV attirent un téléspectateur d’un âge moyen de 51,8 ans (selon le Cabinet NPA), alors que les créations diffusées sur les plate-formes de VOD attirent des utilisateurs composés à 55,4% de moins de 35 ans.
- Cette stratégie fait penser à d’autres créations françaises visant à concurrencer un géant mondial: à chaque fois un échec. Le lancement de Salto a des airs de déjà vu, lorsque l’on sent que des Français veulent rivaliser avec des entreprises bien installées et au succès colossal. L’intention est louable, mais les façons de faire et les aboutissants, parfois, le sont moins. Puisque l’on parle de VOD, et donc forcément de séries TV (produit phare de ces plate-formes), rappelez-vous de toutes ces séries françaises qui ont tenté, sans aucun succès, de faire de l’ombre à leurs homologues d’outre-atlantique. A posteriori, ce n’est jamais la copie que l’on a retenue, mais toujours l’originale.
- Salto est aussi un projet illusoire parce que la question des droits audiovisuels n’est pas réglée en France. Depuis 30 ans les règles en vigueur en France font qu’au bout de quelques mois, les produits audiovisuels co-financés par les chaînes privées ou publiques reviennent aux producteurs privés. Les chaînes n’ont plus la possibilité de les exploiter à leur guise et à fortiori en ligne.
Oui l’audiovisuel français, et tout particulier le service public est en danger parce que des artifices du type Salto sont lancés alors que les questions fondamentales ne sont pas réglées. De surcroît le louable projet de transformation voulu par le Président de la République ne cesse de prendre du retard parce que les lobbies du secteur sont à la manœuvre pour conserver les positions et postures existantes le plus longtemps possible. Un seul acteur du secteur public a compris les enjeux c’est Arte. La chaîne franco-allemande s’est engagée sur la voie du digital dès 2006. Deux exemples de réussites : tous les programmes du jour sont visibles en ligne dès 5 heures du matin. 70 % des contenus d’Arte sont visibles dans toute l’Europe ce qui est impossible pour les programmes de France Télévisions. Cela assure à Arte 15 % de l’audience hors de France et d’Allemagne. Les autres acteurs ont traîné, ont résisté et résiste encore. L’enjeu est aussi managérial. Les salariés du secteur audiovisuel français ont dans leur majorité plus de 45 ans. Chez Netflix, Amazon, Apple, ils ont entre vingt et trente ans et ont tous une fibre entrepreneuriale forte. Là où les salariés de l’audiovisuel – peut-être plus encore dans le secteur public – ont fait légion la résistance au changement. Difficile d’imaginer la réussite d’une innovation avec une telle mentalité.